c’est si pratique, tout communique

— par Damien Sausset
— mars 2012

*Comme les images d’André Mérian, les sculptures d’Olivier Peyronnet renvoient à l’humain, à la manière dont ce dernier joue avec son espace qu’il soit physique ou au contraire imaginaire. Mais ici, le rapport est plus lointain, ces œuvres prenant soin d’établir une distance critique avec notre quotidien. Pour ce projet, Olivier Peyronnet a travaillé essentiellement à partir de toiles à matelas et vieux tissus qu’il chine, récupère, catalogue, archive puis détourne et réemploie. En archéologue faussement dilettante, il donne une seconde vie à des choses normalement vouées à l’oubli. Cependant, cette contrainte se double chez lui d’une conviction : l’objet transformé actualise une situation. De citation d’un passé incertain, l’œuvre ouvre sur le présent, sur le ici et maintenant du spectateur. En aucun cas, la toile à matelas ne s’indexe aux transformations sociales et politiques de notre culture. Elle est matériau, structure malléable permettant toutes les dérives imaginaires, toutes les créations. Mais en même temps, elle s’affirme comme une métaphore : celle du recyclage continuel des valeurs au sein de notre société. En cela, ces sculptures rejoignent le propos de Tati. Elles imaginent la trame d’un flot d’événements oubliés auxquels nous n’avons pas accès. Leur historicité reste abstraite bien qu’étonnamment présente. Cette étrange capacité devient le gage d’un dialogue fructueux avec les images d’André Mérian. Si comme l’avait énoncé Roland Barthes la photographie est toujours un « ectoplasme de ce qui a été », alors il faut également percevoir les sculptures d’Olivier Peyronnet comme des « spectres » révélant à la fois une présence et une absence. Cette présence ne pouvant provenir de l’enregistrement mécanique, elle surgit du format des œuvres, de leurs échelles. Le corps humain est le modèle ; un horizon lointain. Reste au spectateur à jauger ces œuvres, les contourner, les décrypter, les plier à son regard. La déambulation les active. Le lieu d’exposition devient espace pratiqué, l’œuvre une borne au milieu de chemins aléatoires. D’objet du quotidien, ces sculptures basculent en champs d’expériences, proposant une inversion tangible et enchantée de leur passé tragique. D’où une certaine absence, magnifiée par le vocabulaire formel. Certains traits génèrent une tension notamment lorsque l’artiste convoque la richesse de l’histoire de l’art. Comment ne pas penser par instant à la série des toiles réalisées par Gerhard Richter entre 1966 et 1974, comment ne pas percevoir aussi une réponse amusée aux performances de Michelangelo Pistoletto au début des années 1970, voire même une critique impitoyable de la fausse impersonnalité de l’art conceptuel des années 1970. Mais ces échos fonctionnent finalement sur un mode mineur, Olivier Peyronnet refusant les bavardages stériles de la citation directe, genre dont raffolent les spécialistes de l’art contemporain. C’est bien plus du côté d’une symbolique traversée par l’aventure romantique qu’il faut aller. Construire des œuvres à partir de toile à matelas est tout sauf anodin. Au-delà du répertoire des formes, l’œuvre devient l’agrégat des mille rêves et cauchemars d’inconnus les ayant habitées, froissées, puis oubliées ou abandonnées. Les plis, déplis, froissures apparaissent comme autant de comparutions. Au creux de la trame du tissu transparaissent les fragments épars de vies. Le hasard est la condition de ces œuvres, hasard des trouvailles faites par l’artiste, hasard de meurtrissures (traces, taches, usures) qui les parsèment. Le hasard ! Il devient ici le catalyseur d’une puissance imaginative (celle de l’artiste puis du spectateur). En s’y abandonnant, l’artiste se révèle à lui-même. Cependant le hasard produit des effets, il ne fait pas œuvre. Pour que l’œuvre advienne, Olivier Peyronnet prend soin de contredire nos attentes en dédramatisant la charge émotionnelle contenue dans ces tissus. Ainsi « Charte des rêves » (2011) forme un ensemble coloré imposant qui offre toutes les qualités de la subjectivité. L’arrangement des rectangles lumineux parait directement issu de la volonté de l’artiste sans autres conditions que les envies d’un instant particulier. L’œuvre attesterait donc d’un moment précis du travail d’atelier. Cependant en y regardant de plus près, les rapports sont trop imprévisibles pour ne pas avoir été pensés. L’aléatoire se révèle factice, trop spectaculaire. On retrouve cette forme de disjonction dans les autres œuvres rassemblées. D’une certaine manière Olivier Peyronnet invente des œuvres qui condensent mémoire, volonté d’être vécues dans le présent et ouverture sur le futur. Normalement, la toile à matelas abandonnée s’épuise lentement, absorbée par la force d’inertie de son environnement, la vouant ainsi à la destruction. Tout le travail de cet artiste consiste à lutter contre cette forme d’entropie en la réinjectant une fois transformée dans le cercle des objets, plus exactement dans la catégorie spécifique des œuvres d’art. La violence du basculement est contrebalancée par la variété des couleurs et de ces matières qui invitent au toucher, à la caresse.

Ces formes très sculpturales délivrent donc un sentiment d’intimité intemporel doublé d’une fragilité. Toute la grâce de ces œuvres surgit de là, dans cette volonté de l’artiste de placer chacun face à plusieurs réseaux de significations. L’organique du vivant (visible dans ses « matelas boules ») et l’ordre géométrique des pièces au rez-de-chaussée répondent au monde de Jacques Tati en indiquant que le présent peut toujours être surmonté à condition qu’il ouvre sur l’épaisseur de nos rêves. Avec malice, le « Nous sommes heureux » de Claude Lévêque (1997) fonctionne comme une adresse faussement cynique, véritable versant sombre des sculptures d’Olivier Peyronnet. (extrait du texte intégral*)