Le temps à l’oeuvre par Julie Delmas

Le temps à l’oeuvre par Julie Delmas 2007

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Olivier Peyronnet construit des œuvres qui donnent à lire le temps. Ses espaces de sommeil révèlent des matières constituées et accumulées au gré des nuits d’individus anonymes. Parti de sa propre expérience, il récupère des toiles à matelas  qu’il réinvestit de diverses manières : Never ending paintings, Alvéoles de sommeil, suaires, Drapeaux, Espaces communs de sommeils, Cellules0(s), ventres et matelas-boule. Le corps, autrefois présent, a déposé son empreinte colorée constituée aujourd’hui d’auréoles et de taches. Sans compter avec le souffle de la respiration qui, dans sa répétition incessante, a impressionné la toile du matelas. Comme l’indique le titre des Never ending paintings, ces œuvres hybrides renvoient à un infini onirique, dessinant des paysages de rêves individuels que l’artiste pourra combiner à sa guise. Outre leur aspect éphémère et leur fragilité, elles interrogent l’absence, la présence  et le long travail du temps cristallisé en palimpseste.

L’évanescence du sommeil rendue matière, telle l’image du scarabée dont le hiéroglyphe signifie « venir à l’existence en prenant une forme donnée ». A l’instar du scarabée qui constitue et roule sa boule dans une volonté d’engendrement, Olivier Peyronnet fabrique depuis 1993 une boule qui peut être conçue comme un condensé de vie. Partie de quelques fils de lin agglomérés avec de la sciure de bois et de la poussière, cette boule pèse aujourd’hui près de cinquante kilos. Cinquante kilos de strates successives accumulées par le temps : cheveux, feuilles de moutarde, dessins, écritures, pansements, poussière qui sont autant de témoignages de phases de sa vie, de ses amis, ou de ses influences artistiques (hommage à Gabriel Orozco).  Il en réalise des photographies rendues quasi-abstraites de par leur point de vue. C’est que l’artiste se plaît à brouiller les pistes…

Sous la domination du cercle, les taches propres. A la fois signature et effacement, elles marquent l’appropriation par l’artiste des murs noircis de la ville. Au lieu d’ajouter de la matière, comme un graffeur, Olivier Peyronnet choisit de procéder par enlèvement, frottement, effacement. Le mur, ainsi mis à nu, révèle ses entrailles profondes. On pourrait parler de signature par omission si le geste artistique n’était aussi marqué : les taches sont effectivement le résultat d’un engagement physique de l’artiste qui se transforme alors en performeur le temps d’une nuit. L’absence de matière signifie l’identité de l’artiste : le rayon est mesure de ses bras. Œuvre éphémère originale, la tache propre est destinée à être de nouveau ensevelie par la pollution urbaine.

La valeur intemporelle insufflée aux portraits ou les portraitsp. Pour Olivier Peyronnet, presser le déclencheur de l’appareil photo ne suffit pas. Il fait poser ses modèles allongés au sol, immobiles et braque son appareil depuis une plateforme qui lui permet de se trouver à leur aplomb. Le temps de pose est long. Le corps tronqué à moitié. Une fois la photographie tirée en grand format, il la découpe en une multitude de petits carrés identiques qu’il re-assemble par la suite grâce à de petits morceaux de scotch. Le résultat : une présence hallucinatoire, spectrale qui transperce le medium. La durée du temps de pose se matérialise sous la forme d’un sfumato qui correspond à la synthèse des petits mouvements imperceptibles du visage : on touche ici à l’essence même de l’individu, à un condensé du corps inspirant/expirant tel qu’on ne peut le rencontrer dans la réalité. La mise au carreau opère une mise en abîme, une démultiplication du Même à l’échelle du Tout.

Le temps chez Olivier Peyronnet se veut tour à tour matérialisation de l’intime, stratification du biographique, trace ou synthèse. Il a cette force de réussir à révéler le vacillement du temps à l’aune de l’expérience individuelle.

Julie Delmas

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