Trans-sites 0-2 – Dominique Dhervillez

Trans-sites 0-2 / histoire d’un angle de rue par Dominique Dhervillez, septembre 1995

(Directeur du Service de l’Urbanisme de la ville de Montreuil)

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Après la fermeture de l’entreprise  » Euroméga », la ville a acheté le bâtiment pour réaliser l’élargissement du trottoir de la rue du Marais qui mène au collège de Villiers. La petite usine a été partiellement démolie et l’avenir de la partie restante est posé : réhabilitation ou construction neuve. C’est l’occasion, aussi bien pour les artistes de l’association Trans-sites, que pour le chercheur et sociologue Jacques Leenhardt, le service de l’Urbanisme de la Ville, de poursuivre dans cet intervalle temporel et cet interstice urbain, leur démarche expérimentale de questionnement sur le lieu, chacun développant ses hypothèses. La Municipalité de Montreuil et son service du Développement Economique ont été les facilitateurs de cette entreprise.

En tant qu’urbanistes, notre réponse en un lieu dépend toujours de son environnement et de ses antécédents. A la démarche courante qui part d’une vision générale pour la projeter sur un lieu, nous opposerons celle inverse de la prise en compte des détails et singularités, des irrégularités qui peut-être constitueraient un ensemble cohérent et significatif qui nous échappe. Dans ce quartier de Montreuil, le mélange des constructions, la variété des types et des formes déroute et trop facilement, faute peut-être de moyens d’analyse, l’idée du chaos s’impose de prime abord en coupant court à toute spéculation supplémentaire et ouvrant la voie au n’importe quoi. Or, la poésie du lieu, celle même des imbrications du bâtiment de l’usine Euroméga nous pousse à chercher des pistes décrivant la mécanique de l’hétérogénéïté urbaine de ce secteur. L’unité de détail est la parcelle, support de chacune des constructions, élément basique de l’organisation spaciale des objets qui constituent le paysage urbain.

L’organisation parcellaire dépend du relief, des voies de desserte et des pratiques de vie et d’activités qui s’y déroulent. En ce sens, elles est géographique et sociale, elle est également historique, car sa durée de vie  est généralement longue. C’est donc un être complexe. Sur la carte, chaque parcelle peut-être figurée par une simple croix orientée dans les deux directions principales de son contour. Une fois disposées toutes les croix, des lignes régulières apparaissent, qui ne sont ni les courbes de niveaux, ni les tracés des rues, mais une sorte d’empreinte particulière du lieu, premier pas vers la quête de cohérence des éléments hétéroclites  du paysage urbain: le désordre renfermerait des principes d’organisation. Plus: le même exercice sur les cartes anciennes fait apparaître la même figure, bien que les constructions n’existent pas encore et agirait donc comme un déterminant généalogique. La persistance des lignes parcellaires, de façon assez inattendue, se retrouve, bien qu’appauvrie dans quelques lignes du quartier de la noue, où cependant les parcelles ont disparu par remembrement urbain. Si l’organisation générale du parcellaire est support de cohérence, tout en produisant de la différence, nous pouvons émettre l’hypothèse qu’il en est de même pour le détail de ces lignes, et que c’est l’irrégularité qui les différencie qui est le siège de leur caractère et que les oublier au profit de tracés plus réguliers générerait plus d’amnésie que de sens, remplacerait un ordre subtil par un ordre simpliste. Il ne s’agit pas de sacraliser chacun des traits de la carte, mais de discriminer ceux qui ont du sens de ceux qui en auraient moins, selon une logique attentive, dans laquelle les lignes  de ce qui va venir seraient pour l’essentiel déjà là.

Le travail des artistes procède, bien qu’avec des spécificités, de la même préoccupation: ils prennent les matériaux du bâtiment, les cloisons et les faux plafonds, les cables pour, sans les éliminer, les arranger autrement dans un détournement des choses déjà là, mettant en scène des lignes de force traversant le bâtiment, où la mémoire cristallisée sur les matériaux, s’ouvre sur une architecture et des formes nouvelles dont les lignes cardinales vont à la recherche de lignes, dont celles de la ville telle qu’ils la perçoivent.

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